Dernière mise à jour du blog : Lundi 20 juin 2011


Trois ans que j'avais pas mis les pieds ici. J'ai eu envie de voir ce que ça donnait d'écrire un peu. Il restait cette trace de moi sur l'Internet, et ce que j'y ai trouvé n'était pas moi. C'était malhonnête. Je rectifie la donne.

C'était facile d'écrire. J'avais un sujet en tête et j'écrivais. Ou j'avais rien en tête et j'écrivais. Là j'ai trop de choses en tête et je ne sais pas quoi écrire. J'ai entamé la lecture d'un livre, The Power of Pills. Depuis mon année sous Seroplex j'ai développé une certaine fascination pour l'industrie pharmaceutique. Parlons du Seroplex.

C'était un été, il faisait beau et j'avais décidé de ne pas aller en stage, ce stage où je me sentais inutile de 9h à 17h, 5 jours par semaine. Ils m'ont demandé un arrêt de travail. Je suis allée chez mon médecin traitant. Ce même médecin qui deux ou trois ans plus tôt voulait soigner mes insomnies avec de l'homéopathie et mon angoisse avec des Fleurs de Bach. J'avais prévu de faire croire à une sinusite, j'avais révisé mes symptômes par cœur, j'étais prête. Je suis entrée dans le cabinet, je me suis assise sur une des deux chaises face au bureau de mon médecin ; toujours la même chaise, celle de droite, du côté de l'ordinateur. J'ai remarqué plus tard, il y a trois mois, que j'ai toujours tendance à choisir les mêmes spots à chaque fois que je vais dans un même endroit. Toujours la même chaise en classe. Toujours le même cabinet de toilettes dans chacune des toilettes publiques. Toujours la place unique à côté de la porte arrière dans le bus TBC.

J'ai paniqué. J'ai toujours paniqué chez le médecin. Mais là j'ai trop paniqué pour pouvoir mentir. Alors j'ai dit la vérité. Que je traînais ma fatigue dès le réveil et toute la journée, mais que le soir je ne pouvais pas dormir. Que j'avais toujours mal au ventre dès que je mangeais quelque chose. Que je me sentais physiquement très faible. 

Sourire de compassion. "Les gens ne font souvent pas attention à ça parce qu'ils pensent que c'est une déprime passagère. En réalité il s'agit d'un dysfonctionnement dans le cerveau, au niveau des synapses. Parfois on peut même ne pas vraiment s'en rendre compte et croire que tout va bien ; j'ai eu un patient qui était venu me dire tout sourire qu'il avait des problèmes de sommeil et qu'il n'arrivait plus à se concentrer, il en revenait pas quand je lui ai dit qu'il faisait une dépression." Elle m'expliquait tout ça en dessinant une courbe qui correspondait à je ne sais plus quoi, en dessinant des liaisons synaptiques, et en listant 7 symptômes. "Entoure les symptômes que tu as." Troubles du sommeil (insomnie ou hypersomnie)Troubles de l'appétitSentiment de tristesse constanteManque d'énergieIdées noires. Trouble de la libido. Stress, inquiétude constante, difficulté à penser normalement.

"Euh, en fait, je les ai tous."

Elle m'a réexpliqué que ça arrivait à tout le monde. Que ça l'étonnait pas que mon cerveau déconne, parce que je me donnais trop de responsabilités. Que je devais prendre mes médicaments tous les jours mais surtout, surtout, aller voir un psy régulièrement, sinon ça ne fonctionnerait pas. M'a tendu mon ordonnance. Seroplex 10mgM'a dit qu'il fallait que j'en parle à ma mère parce que je ne peux pas toujours la protéger de tout, qu'elle ne le ferait pas à ma place mais qu'il fallait que ma mère le sache car je ne pourrais pas payer le psy toute seule ; et que si je n'ai pas envie de lui en parler plus en détail je n'avais aucune obligation de le faire. Que je devais revenir dans deux semaines pour savoir si ça fonctionnait.
Je suis allée à la pharmacie. J'ai pris ma première pilule de Seroplex le soir même, à 19h, en me disant que si ça devait soigner mes symptômes, alors ça m'aiderait à manger. J'ai passé 2h aux toilettes puis j'ai voulu du riz. Une bouchée. Une autre. Plus faim. J'ai pleuré. Je suis allée dormir et j'ai sombré en 2 minutes. Dans la nuit, des hallucinations m'ont réveillée.

Une semaine plus tard je l'annonçais à ma mère pendant qu'on rentrait des courses, entre une discussion sur la caissière et une sur le prix de l'essence, " - Le médecin m'a prescrit des antidépresseurs et je dois aller voir un psy. J'ai pas envie d'en parler. - Des antidépresseurs ? Ah bon ? Mais pourquoi ? - Non. J'ai dit que j'avais pas envie d'en parler."

La psy a voulu qu'on parle de mes problèmes d'estomac. Elle m'a fait faire des trucs à l'encontre de ma nature, en me demandant de ressentir ma douleur, de ressentir quelque chose de joyeux pour comparer, et d'attribuer une forme et une couleur à chaque émotion. J'ai pas vraiment réussi. J'ai juste pu penser à un rond marron. Mon mal de ventre. Un rond marron.

Deux semaines après ma prescription 10mg, je suis retournée chez le médecin. Je ne dormais toujours pas bien, j'arrivais toujours pas à bien réfléchir, j'étais toujours triste. Nouvelle ordonnance. Seroplex 15mg.

La psy m'a comprise tellement vite que j'ai cru qu'elle ne me comprenait pas. Je me suis braquée. J'ai pas avancé. J'ai fui. Retour chez le médecin deux semaines plus tard pour lui expliquer qu'il n'y avait toujours pas d'améliorations. Nouvelle ordonnance. Seroplex 20mg.

J'ai dormi.

Pendant deux semaines, 15h par jour, j'ai dormi.

Puis je suis retournée chez le médecin. "Je ne peux pas te faire d'arrêt maladie parce que j'ai que ta parole. Je peux juste te faire un mot pour dire que tu affirmes avoir eu des problèmes de sommeil et qu'il est possible que ce soit vrai." Laissez tomber et soignez-moi. Nouvelle ordonnance. Seroplex 15mg. Le même que celui qui ne fonctionnait pas un mois plus tôt. Je suis allée chercher ma première boîte chez le pharmacien, mais jamais la deuxième. On se foutait de ma gueule. Je ne suis jamais retournée chez mon médecin traitant. J'ai commencé par passer à du 10mg en prenant pendant deux semaines des demi-comprimés du 20mg qui me restait. Puis des demi-comprimés de 15mg. Puis j'ai tout arrêté. Insomnies. Sudations nocturnes. Nausées. J'ai essayé de comprendre ce que ces comprimés pouvaient posséder que des aliments naturels ne pouvaient pas m'apporter. J'ai réfléchi aux conseils de la psy que j'avais abandonnée et je les ai appliqués. J'ai voulu supprimer tout le négatif de ma vie et je suis devenue insupportable, encore plus insupportable que quand je me médicamentais. J'ai passé un an à faire n'importe quoi. Puis à chercher des renseignements. Chercher à comprendre pourquoi à aucun moment on ne m'a filé autre chose que du Seroplex, surtout face au constat que ça ne fonctionnait pas. Pourquoi mon médecin ne m'avait jamais proposé d'autre alternative. Pourquoi au lieu de m'expliquer les possibles effets indésirables et s'assurer que j'étais d'accord pour entamer un traitement médicamenteux, elle m'avait présenté ça comme la seule alternative possible. J'ai trouvé le blog d'un médecin spécialiste en névroses, et je lui ai posé des questions sur les méthodes de prescription et plus particulièrement en termes de médicaments psychotropes, car il donnait son adresse email pour toutes les personnes qui s'interrogeraient à propos de leur santé mentale ; aucune réponse.

Si on jette un coup d'œil à la liste des 500 plus grosses entreprises mondiales, 13 d'entre elles sont des industries pharmaceutiques. En 41ème position se trouve Johnson & Johnson, propriétaire de Neutrogena, Acuvue, Band-Aid et Le Petit Marseillais, ainsi que de la marque d'antalgiques Tylenol dont les traces de cyanure ont fait 7 morts ans les années 80. En 48ème position se trouve Pfizer, producteur de Xanax, Zoloft, Champix, Nardil et Zeldox, et dont les méthodes parfois douteuses ont entre autres inspiré un livre et un film.

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The Power of Pills
fait état d'une blockbuster mentality au sein des entreprises pharmaceutiques, qui ne veulent produire que des médicaments pouvant générer plus de 500 millions de dollars de revenus annuels, de préférence 1 milliard ; tout médicament susceptible de ne pas atteindre ces résultats financiers reste potentiellement non développé. Le livre passe en revue les priorités des industries pharmaceutiques (1% des médicaments développés entre 1975 et 1997 était destiné aux maladies tropicales : nombreuses mais pas assez intéressantes économiquement). Afin de ne pas porter préjudice aux sponsors, les résultats des tests de médicaments sont souvent réarrangés afin de correspondre à des attentes économiques. Le livre cite l'exemple de GlaxoSmithKline, dont les résultats montrant l'inefficacité de la paroxetine contre la dépression chez les enfants et les ado ont consciencieusement été cachés afin de ne pas influencer l'image commerciale du médicament ; un test négatif sur une partie de la population pourrait constituer une limite même pour les prescription envers le tiers de population pour qui le médicament est efficace, alors autant prendre le risque de prescrire un médicament inefficace aux 2/3 restants.

Seroplex est un produit phare de Lundbeck, entreprise cotée en bourse qui a généré en 2012 environ 2 milliards d'Euros. Lundbeck produit notamment des antidépresseurs, anxiolytiques, et le pentobarbital, un produit euthanasiant dont l'entreprise détient la licence exclusive aux États-Unis, où les injections létales se pratiquent encore. Vivement critiquée par plusieurs ONG dont Amnesty International, Lundbeck s'est d'abord essayée à la corruption avant d'abdiquer et accepter d'être plus regardante sur l'utilisation que font ses clients du pentobarbital.

L'analyse des ventes de médicaments en France en 2012 publiée par l'ANSM classe Seroplex à la 12ème place des médicaments les plus vendus ; il est par ailleurs le seul antidépresseur du top 25. En 2009, un accord avec la société BioAlliance Pharma SA a permis à Seroplex de générer un joli chiffre d'affaires auprès des cancéreux et sidatiques.

Je passerai les détails sur le fait qu'il y a encore dix ans, en France, les entreprises pharmaceutiques étaient autorisées à influencer les prescriptions des médecins en achetant leur bonne volonté. Que les laboratoires pharmaceutiques en France testent leur impact marketing et la qualité de leur communication sur des panels de médecins afin de s'assurer que leurs produits semblent correspondre à leurs besoins. Et que certaines organisations à but non lucratif, celles qui pratiquent un fervent lobbyisme en faveur de la reconnaissance de maux aux définitions de plus en plus larges, sont financées par les entreprises qui par un heureux hasard commercialisent les médicaments qui entendent y répondre.